L’intelligence artificielle s’est invitée dans nos bureaux pour automatiser les tâches à faible valeur… Mais peut‑on avoir plus d’ambition ?
Depuis deux ans, j’interroge la place que l’intelligence artificielle peut occuper au‑delà des macros Excel et des e‑mails rédigés en un clic. Je me suis spécialisé dans l’intégration de l’IA à la stratégie d’entreprise et cela m’a conduit à une conviction : l’IA peut et doit se hisser jusqu’aux réunions où se prennent les décisions organisationnelles. Mais la route est semée d’enjeux aussi critiques que les opportunités qu’elle dessine.
L’IA, championne de la donnée… tant qu’elle reste simple
Demandez à ChatGPT comment régler un différend contractuel ou à Gemini le meilleur restaurant chinois du quartier : la réponse fuse. Interrogez Copilot sur la récurrence d’achat d’un segment client : le tableur se remplit. Pour la collecte informationnelle simple, l’IA excelle et ses erreurs ont peu d’impact.
Lorsque les données deviennent sensibles, quand elles sont financières, stratégiques ou concurrentielles, tout se complique. Jeux de données hétérogènes, biais historiques, falsifications involontaires (ou non) : comment garantir à un superviseur ou décideur que la matière première de sa décision est fiable, complète et objective ?
En stratégie, la justesse d’une information fait la différence entre un lancement produit réussi et un pivot forcé. Détecter un signal faible (prémices d’un changement majeur) exige une veille continue et élargie. L’IA, lorsqu’elle est correctement entraînée et gouvernée, accélère cette captation : moins d’intermédiaires, plus de vitesse, un potentiel de véracité supérieur.
C’est pour ces capacités d’aide aux décisionnaires et d’augmentation de la productivité que vous entendez constamment parler de l’IA. Cette technologie est omniprésente depuis plusieurs mois dans les entreprises et sur les réseaux, et son taux d’adoption ne fait que croître.
Remise en perspective : l’intégration reste lente
78 % des entreprises affirment utiliser l’IA dans au moins une fonction (McKinsey, 2024). Pourtant, seules 4 % de celles qui exploitent des modèles de pointe déclarent réussir à obtenir un ROI positif (BCG, 2024), ce qui démontre l’importance d’une bonne gestion dans l’intégration de l’IA pour décrocher des résultats. Cela passe notamment par l’apprentissage. Effectivement, même si 66 % des salariés disent utiliser l’IA régulièrement, 61 % n’ont pas encore été formés sur ces nouveaux outils (KPMG, 2025).
Une course aux promesses s’est engagée : les grandes entreprises de la tech proposent constamment de nouvelles fonctionnalités, des modèles toujours plus volumineux… Souhaitant démontrer leur puissance à leurs concurrents, elles augmentent d’abord la difficulté d’appropriation par le grand public. La complexité augmente plus vite que la capacité d’adoption complète des outils IA. Il en résulte un fossé entre les professionnels aguerris, qui sont capables de tirer parti des capacités avancées et les utilisateurs passifs, qui se limitent à des requêtes basiques. C’est notamment pour combler cet écart entre les employés que les services de Liftia sont souvent sollicités.
Les enjeux de l’intégration technologique
De mes recherches et discussions avec des professionnels de secteurs variés à Montréal, plusieurs enjeux et défis émergent lorsqu’une organisation souhaite intégrer l’IA en interne. Il y a les problèmes de confidentialité et de cybersécurité : les systèmes manipulent des informations stratégiques, cibles idéales des attaques. Les biais algorithmiques : formés sur des données partielles, les modèles reproduisent, voire amplifient, des idéologies et des discriminations. Le risque d’inexactitude croissante : la quantité de contenus générés par l’IA risque d’alimenter… l’IA elle‑même, brouillant la frontière entre réel et synthétique. Enfin, il y a la peur d’une autonomisation excessive : déléguer sans supervision marginalise le regard critique humain.
Vers une vision long terme et durable
Aujourd’hui, le plus important reste d’intégrer l’IA avec une vision à long terme. Acheter des licences et espérer que les employés adoptent les nouveaux outils avec de bonnes pratiques est une utopie. Il faut être capable de comprendre les ressources disponibles en interne et de les mobiliser pour déployer de nouvelles solutions d’IA dans un alignement stratégique à long terme correspondant aux attentes des parties prenantes.
Il est pertinent d’instaurer des responsables IA, en charge des politiques de données, des audits de modèles et du suivi des risques. Il faut investir dans le capital humain, notamment dans la formation continue, pour transformer la méfiance en expertise éclairée. D’un point de vue opérationnel, il convient de positionner l’IA comme un support décisionnel, jamais comme substitut. Les prises de décision demeurent une responsabilité humaine, éclairée par des analyses automatisées.
Conclusion : passer de l’expérimentation à la valeur
L’IA n’est plus un gadget de productivité. Bien gouvernée, elle devient un amplificateur de vision stratégique. Mal maîtrisée, elle fragilise la confiance, fondement même de toute relation d’affaires.
Pour les entreprises, le défi n’est donc pas d’adopter l’IA, mais de l’aligner : avec la raison d’être de l’entreprise, avec les compétences humaines qui la guident et avec les mécanismes de contrôle qui garantissent sa responsabilité.
La question n’est plus “peut‑on intégrer l’IA dans notre organisation ?” mais “à quelles conditions sommes‑nous prêts à le faire de façon durable ?”